Pérennité des démarches d’écologie industrielle et territoriale en France. Constats, enjeux, et recommandations.
Benoît Duret, Caroline Valluis, Alexandre DAIN, mars 2018
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Résumé :
Même si les projets d’écologie industrielle et territoriale (EIT) se multiplient ces dernières années, les synergies structurantes et l’évaluation de leurs impacts positifs peinent à se montrer significatives. De plus, la pérennité des démarches est en questionnement chez de nombreux porteurs, notamment dans le contexte d’une baisse prévisible des financements publics sur la fonction d’animation. Ces mêmes financeurs publics, qu’ils soient locaux, régionaux ou nationaux, sont en recherche de positionnement vis-à-vis des démarches d’EIT, pris en étau entre des injonctions d’essaimage et la volonté de réussir à pérenniser l’existant, qu’ils ont souvent contribué à faire émerger et soutenu financièrement pendant plusieurs années. De fait, la question de la pérennité interroge l’échelle territoriale des projets, pour rendre cohérents les appuis financiers avec l’efficacité de l’animation et la portée des actions. Par exemple, la compréhension du métabolisme territorial, exercice pourtant fondamental pour optimiser l’utilisation des ressources, n’est que très rarement intégrée. Dans le même sens, les démarches d’EIT sont trop timidement rattachées ou coordonnées aux projets de territoire, montrant un déficit de transversalité dans les collectivités. Ainsi, à l’aune de ces différents constats et enjeux, il est apparu le besoin d’une analyse des modèles organisationnels, opérationnels et économiques existants dans le domaine de l’EIT.
Cette analyse de la pérennité des démarches d’EIT a été réalisée, principalement du point de vue de l’acteur-tiers (structure en charge de l’animation et de la coordination), selon trois angles complémentaires :
La gouvernance
L’analyse globale de la gouvernance des démarches d’EIT en France soulève des questionnements quant à l’intégration d’une pluralité d’acteurs, et surtout à la réelle capacité de co-pilotage entre acteurs publics et privés. Il est important d’insister sur le partage de cette responsabilité de manière à mettre en évidence la poursuite de deux enjeux distincts, mais complémentaires : la diminution effective des consommations de ressources (dans une approche de biens communs), et le développement des activités économiques sur un territoire (intérêts publics et privés). De plus, les démarches d’EIT existantes restent encore très ancrées sur des modes de gouvernance classiques qui freinent les dynamiques d’agir collectivement selon des modèles plus inclusifs. Pour ce faire, le statut juridique choisi pour l’acteur-tiers semble stratégique. Chaque territoire et écosystème d’acteurs étant unique, les modes de gouvernance doivent être pensés de manière agile, dans un format adaptable en fonction des participants, du profil du territoire, de leur histoire. Il est par contre primordial de mettre en place des dispositifs permettant aux acteurs de se rencontrer régulièrement de manière formelle et informelle afin de maximiser l’intelligence collective, et d’aller au-delà des dispositifs institutionnels de pilotage.
Les activités et les réalisations concrètes
L’acteur-tiers des démarches d’EIT peut être amené à pratiquer une grande variété d’activités : comptabilité de flux, recherche de synergies, ingénierie et services d’EIT, actions de développement économique territorial, intégration d’activités entrepreneuriales, formation et transfert de compétences ou encore communication, évaluation et valorisation des résultats. Les achats mutualisés représentent un bon levier de mobilisation des entreprises, contrairement à la mise en œuvre de synergies structurantes nécessitant un engagement durable des acteurs territoriaux. Cependant, l’identification et la mise en œuvre d’actions à forts impacts sur la réduction de l’utilisation de ressources devraient rester l’objectif central de l’acteur-tiers. Ce dernier point interroge la place des travaux sur le métabolisme de l’économie et de l’évaluation dans les démarches d’EIT aujourd’hui fortement sous-estimés. Pourtant, la mesure des impacts économiques, environnementaux et sociaux d’une démarche d’EIT est essentielle afin de valider les orientations stratégiques et opérationnels prises (et éventuellement les réorienter). Leur valorisation doit aussi permettre de maintenir dans le temps l’engagement des acteurs et de diffuser la démarche. Pour cela, les indicateurs d’évaluation doivent être définis collectivement en fonction des objectifs poursuivis a minima dès les premières synergies lancées.
Le modèle économique
La pérennité économique est un questionnement récurrent dans les démarches d’animation de réseau, dont fait partie l’EIT. Il est donc nécessaire que les acteurs-tiers en charge des démarches améliorent leur capacité d’autofinancement. Ceci pose notamment la question du modèle juridique le plus adapté, qui doit permettre d’assurer le modèle économique retenu. De plus, développer l’autofinancement d’une démarche d’EIT prend du temps car elle nécessite l’augmentation de la taille du réseau, du prix des cotisations ou la création de prestations commerciales. Le financement public du fonctionnement des démarches est quant à lui indispensable tout au long du projet. Si les besoins en subventions d’une démarche mature sont bien inférieurs à ceux de la phase de mise en œuvre, ils permettent au projet de continuer à se focaliser sur la coopération inter-acteurs (et pas seulement des seules entreprises), et sur la valorisation des ressources à l’échelle du territoire. À trop chercher des modèles économiques de plus en plus privés, les acteurs-tiers favorisent les actions les plus rentables (achats groupés ou prestations extérieures), plutôt que les actions à forte diminution de consommation de ressources. La mise en œuvre d’achats groupés ne doit pas pour autant être mise à l’écart de l’animation de démarches d’EIT puisqu’elle permet notamment d’assurer une assise financière stable à l’acteur-tiers et de générer de la coopération.